C) Les cartes

 
        En arrivant chez la Reine de Cœur au chapitre "Le terrain de croquet de la Reine", Alice assiste à un conflit entre trois jardiniers : "Fais donc attention, le Cinq ! Ne m'éclabousse pas de peinture comme cela ! - Ce n'est pas ma faute, répliqua, d'un ton maussade, Le Cinq. C'est Le Sept qui m'a poussé le coude.". Le Sept emploie également une formule d'un langage familier pour susciter le rire chez les lecteurs : " Ca Le Deux, ce ne sont pas tes oignons !" Ce sont des jardiniers bien particuliers... Ce ne sont pas des hommes. Ce sont en réalité des cartes vivantes présentées dans le chapitre comme "plats et rectangulaires ; leurs mains et leurs pieds se trouvaient fixés à leurs quatre angles". Malgré tout, Alice ne semble ni déstabilisée ni effrayée par l'apparence de ces trois jardiniers. Nous pouvons noter également que ces derniers sont appelés par leurs numéros : "Le Cinq" "Le Deux", ils n'ont pas d'identité propre. Le non-sens ne s'arrête pas là. Outre leurs apparences, leurs attitudes sont aussi absurdes. Ils sont en train de peindre en rouge un rosier blanc, qu'ils ont planté par erreur. La Reine souhaite à tout prix des roses rouges sous peine de leur couper la tête. Cette peinture rouge est mise en italique dans le chapitre pour souligner son symbolisme, étant la couleur favorite de la Reine. Nous pouvons remarquer que Lewis Carroll critique notamment la soumission des sujets envers la Reine de Cœur dans "Les trois jardiniers se jetèrent immédiatement à plat ventre sur le sol". On peut comparer cette caricature des sujets avec celle que 
réalise Voltaire dans le chapitre de l'Eldorado dans Candide ou l'Optimisme. Les jardiniers sont dévalorisés d'une part par la Reine : "Crétin !" puis d'autre part par Alice : "Ma foi, ces gens-là, après tout, ne sont qu'un jeu de cartes ? Je n'ai nulle raison d'avoir peur d'eux !" A l'inverse, le Roi et la Reine de Cœur, eux, sont écrits en majuscules pour mettre en évidence leur importance et leur statut social, visible également dans "votre Majesté". Nous pouvons noter que le Roi, qui s'exprime "timidement", semble avoir moins d'autorité que la Reine. Le pouvoir et la colère de cette dernière sont visibles dans la répétition : "Qu'on lui tranche la tête !". Ce chapitre, comme la plupart du roman, est basé sur la personnification : cette figure de style consiste, comme l'anthropomorphisme, à attribuer des comportements humains à un animal ou à un objet.
 
 
 
     Les trois jardiniers ont une place importante dans ce roman. Leurs noms : Le Deux, Le Cinq et le Sept n'ont pas été choisi au hasard par Lewis Carroll. 
 
 
Le 2, le 5 et le 7 sont des nombres premiers. A l’époque de Lewis Carroll, les nombres premiers sont censés posséder des pouvoirs magiques puisqu'ils sont irréductibles. Un nombre premier est un nombre entier naturel ayant seulement 2 diviseurs : le 1 et lui-même. Enfin, ces trois nombres ont aussi des significations importantes dans le domaine littéraire.
 
 
 
  
                                                                                             
 
 

 

                         La première carte est un 7
 
Ce nombre a tout d’abord un rôle depuis L’Egypte antique. En effet, les égyptiens discernaient un ordre sacré et universel dans les signes du ciel. Le nombre sept signifie la vie éternelle. Ils avaient remarqué qu’il fallait sept décades à l’étoile Sirius, assimilée à Isis, pour réapparaître de la voûte terrestre. Cela signifie donc le temps nécessaire entre la mort et la renaissance dans l’autre monde. Cette durée représente également l’embaumement des corps, c'est-à-dire l'ensemble des techniques visant à conserver les corps des personnes mortes dans un état plus ou moins proche de celui qu'elles avaient étant vivants.
 
Puis dans La Bible, il est dit que Dieu créa le monde en sept jours.  Les sept jours de la semaine. Sept est le chiffre de dieu.
 
On le retrouve dans le premier chapitre de la Genèse. Voici un extrait de ce chapitre :
 
 « Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le premier jour. »
 « Dieu vit tout ce qu'il avait fait et voici, cela était très bon. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le sixième jour. »
 
Dans ce chapitre, on retrouve cette configuration pour chaque jour jusqu’au  sixième. Enfin le septième jour, il est décrit :
 
 « Dieu acheva au septième jour son œuvre, qu'il avait faite : et il se reposa au septième jour de toute son œuvre, qu'il avait faite.  Dieu bénit le septième jour, et il le sanctifia, parce qu'en ce jour il se reposa de toute son œuvre qu'il avait créée en la faisant. »  
 
=> Dieu créa donc le monde matériel en six jours, et que le septième, il acheva son œuvre en donnant sa bénédiction.
 
Le sept n'apparaît pas seulement dans les religions. Il est présent dans de nombreux domaines tel que le nombre des notes de musique, des couleurs de l’arc-en-ciel ou encore le nombre de mers et de continents.
 
 
 
 
 
 
 
                                                                                                                                                                           
 
 
                          La seconde carte est le numéro 2                     
 
 
Ce chiffre représente la dualité, soit le caractère de ce qui est double en soi, bien/mal, homme/femme, vie/mort.
 
Le chiffre 2 représente l'homme, en qui il existe toujours une dualité, une division intérieure, conséquence du péché originel. Et cela permet de résoudre certaines énigmes contenues dans l'Évangile. 
 
Exemple dans l'Evangile : à Jéricho, selon Marc, un seul aveugle, nommé Bartimée, est guéri ; selon Matthieu, il y avait deux aveugles. Au cours du procès de Jésus, quelques faux témoins se présentèrent, nous dit Marc ; Matthieu, quant à lui, affirme qu'il s'en présenta deux. Les deux disent la vérité. En effet, Marc explique la version historique des faits et Matthieu quant à lui se réfère au chiffre symbolique. 
 
30 : « Et voici, deux aveugles assis sur le bord du chemin, ayant ouï que Jésus passait, s’écrièrent, disant : "Aie pitié de nous, Seigneur, Fils de David". ».
 34 : « Et Jésus, ému de compassion, toucha leurs yeux ; et aussitôt leurs yeux recouvrèrent la vue ; et ils le suivirent. » On retrouve ce nombre dans plusieurs versets de La Bible par exemple. 
 
Dans la Genèse
 41:32 32 « Et si le rêve a été deux fois répété à Pharaon, c’est que la chose est solidement établie de la part du [vrai] Dieu et que le [vrai] Dieu se hâte de la faire. »
 Daniel 8:20,21
20 “ Le bélier que tu as vu [et] qui possédait les deux cornes [représente] les rois de Médie et de Perse.» 
21 « Et le bouc velu [représente] le roi de Grèce ; quant à la grande corne qui était entre ses yeux, elle [représente] le premier roi.» Dans les prophéties, « deux cornes » peuvent représenter une double puissance politique. C’est le cas dans une prophétie de Daniel concernant l’Empire médo-perse ».
 
Révélation 13:11 
11 « Et j’ai vu une autre bête sauvage qui montait de la terre, et elle avait deux cornes semblables à celles d’un agneau, mais elle s’est mise à parler comme un dragon ». 
 
 
                                                                                                                                                                     
 
 
 
Le dernier jardinier est identifié par la carte 5
 
 
 
 
 Ce chiffre représente l’humain : les cinq sens, les cinq doigts. 
 
En médecine chinoise, on retrouve la théorie des cinq éléments. Cette Théorie regroupe tout ce qui nous entoure et nous compose en cinq grands ensembles interdépendants. 
Il existe cinq mouvements :
Le mouvement du BOIS : Il symbolise la force d’activation et de croissance au départ d’un cycle. Le bois se courbe mais peut se redresser.
Le mouvement du FEU : Il représente la force de transformation et d’animation maximale. Le feu monte, s’élève.
Le mouvement du METAL : Il décrit la condensation, il montre la prise d’une forme durable par le refroidissement, l’assèchement et le durcissement. Le métal est dit malléable, mais conserve la forme qu’on lui a donnée. 
Le mouvement de l'EAU : Ce mouvement représente la passivité. L’eau descend et humidifie. 
Le mouvement de la TERRE : Il présente le support, le milieu fécond qui reçoit la chaleur et la pluie. C'est le plan de référence duquel émerge le Bois et dont s'échappe le Feu, où s'enfonce le Métal et à l'intérieur duquel coule l'Eau. La Terre permet de semer, de faire pousser et de récolter.

 
« Les Cinq Éléments ne sont pas des constituants de la nature, mais cinq processus fondamentaux, cinq caractéristiques, cinq phases d'un même cycle ou cinq potentialités de changement inhérentes à tout phénomène. »

 La Théorie définit un ensemble d'interactions entre les cinq Mouvements. Ce sont le Cycle d'engendrement et le Cycle de Contrôle. 
 
 
 
                                                                                 
 

 

 
Rappelons que les cartes Deux, Cinq et Sept sont au nombre de 3
 
 
Le 3 est également un symbole. Symbole de la créativité, de l'expression et de la communication. Il représente la Sainte Trinité dans le christianisme composé du Père, du Fils et du Saint-Esprit. C'est aussi le nombre de l'Homme qui possède un corps, une âme et un esprit. Mais le chiffre 3 est surtout considéré comme le chiffre parfait, symbolisant l'achèvement. C'est le symbole du Temps, divisé en trois dimensions : Le passé, Le présent et Le futur. Trois signifie "totalité". 
 
Dans la Bible, trois est le nombre de fils de Noé qui constituent la totalité des descendants. C'est aussi le nombre de fois où Pierre a renié Jésus donc où il a été infidèle avec son maître. Enfin le chiffre trois est le nombre de tentations de Jésus subies par le Diable. On retrouve ce passage dans l'Evangile de Luc 4, 1-13 :
 
 "Après son baptême, Jésus, rempli de l'Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; il fut conduit par l'Esprit dans le désert où, pendant quarante jours, il fut mis à l'épreuve par le Diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim.
 
 Le Diable lui dit alors : "Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre qu'elle devienne du pain." 
 
Jésus lui répondit : "Il est écrit : ce n'est pas seulement de pain que vivra l'homme."
 
 Le Diable l'emmena alors plus haut, et lui fit voir d'un seul regard tous les royaumes de la terre. 
 
Il lui dit : "Je te donnerai toute cette puissance et la gloire de ces royaumes, car cela m'appartient et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela." 
 
Jésus lui répondit : "Il est écrit : tu te prosterneras devant Le Seigneur ton Dieu, et c'est lui seul que tu adoreras." 
 
Puis le Diable le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du temple et lui dit: "Si tu es Le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi à ses anges l'ordre de te garder ; ils te porteront sur leurs mains de peur que ton pied ne heurte une pierre." 
 
Jésus répondit : "Il est écrit : tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu." 
 
Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentation, le Diable s'éloigna de Jésus jusqu'au moment favorable." 
 
 
 
Outre le symbolisme et la signification des chiffres, les cartes ont aussi un rôle important dans le dernier chapitre d'Alice au Pays des Merveilles "La déposition d'Alice". En effet, à la fin du procès, Alice se révolte contre la Reine de Cœur : "Mais c'est de la bêtise! dit, à haute voix, Alice. Condamner avant de juger, a-t-on idée de cela ? ". Alice dévalorise les sujets de la Reine de Cœur dans : "Qui se soucie de vous et de vos ordres ? dit Alice. Vous n'êtes qu'un jeu de cartes!". A ces mots, on assiste à l'avalanche du jeu de cartes sur Alice. Frayeur, colère... C'est à ce moment-là que la jeune Alice se réveille. Les cartes ne sont en fait que des feuilles d'arbres. Elles symbolisent l'arrêt de l'illusion et le retour à la réalité. Toute cette petite aventure n'est en fait qu'un curieux rêve.